Ouvrage sur la Prédecelle : recours gracieux contre l’arrêté préfectoral

Par arrêté du 7 juillet 2014, publié au Registre des actes administratifs le 11 juillet, le préfet de l’Essonne a déclaré d’utilité publique le projet de réalisation de l’ouvrage AM1L3 dit « barrage du Pivot », dans le cadre de la lutte contre les inondations de la rivière Prédecelle sur le territoire de la commune de Limours-en-Hurepoix.

Le 2 septembre 2014, Essonne nature environnement (ENE), la Fédération des associations de protection de l’environnement de la Haute vallée de l’Orge (FAVO), et l’association Vivre à Forges (environnement, patrimoine, urbanisme, cadre de vie à Forges-les-Bains) ont adressé un recours gracieux contre cet arrêté n°2014-PREF-DRCL/BEPAFI/SSAF-443.

L’enquête de dossier d’utilité publique (DUP) relevant de la catégorie « enquêtes environnementales » régies par les dispositions du code de l’environnement, ce recours gracieux vise annulation de l’arrêté, entaché de vices de forme et d’illégalités au fond qui justifient la demande d’annulation.

1. L’arrêté aurait dû être affiché sur le territoire de la commune concernée (cf article 7). Or après vérification, le maire de la commune de Limours n’a pas pris le soin de respecter cette obligation.

2. Les séances du syndicat intercommunal de l’hydraulique et de l’assainissement de Limours (SIHAL) sont « publiques ». Ceci implique que les convocations et les comptes-rendus soient affichés au siège du comité syndical et/ou publiés sur un site internet. Or, ces formalités de publicité, pourtant obligatoires, ne sont jamais respectées.

3. Il est patent que les délégués de Briis-sous-Forges (1) qui siègent au syndicat depuis 2002 sont directement intéressés par les aménagements projetés. Étant en même temps juges et parties, ils n’auraient pas du prendre part au vote des délibérations de ce syndicat. Par conséquent la délibération du 28 mars 2013 par laquelle le SIHAL a décidé d’engager la procédure d’expropriation est irrégulière.

4. On relèvera que le dossier de DUP a été établi en novembre 2012. Ce qui signifie qu’à la date du 28 mars 2013, les élus du syndicat n’étaient pas au courant de la pollution aux PCB NDL de la rivière Prédecelle (concentration jusqu’à 6 fois le seuil de référence au droit du barrage projeté). Les résultats des analyses ont été transmis au syndicat mi-avril 2013 comme en témoigne la présentation faite en conseil municipal de Forges-les-Bains le 25 avril 2013. Un communiqué de la préfecture confirme officiellement cette pollution le 19 avril 2013 seulement.

Une « Note sur la gestion des PCB /ouvrage AM1L3 »  a été rédigée et remise à la préfecture le 23 septembre 2013 (pièce n°25.2 du dossier d’enquête), soit 6 mois après la réunion du comité syndical.

On notera également qu’aucune évaluation sérieuse du coût d’évacuation des terres polluées n’a été soumise aux délégués lors du vote du 23 avril 2014 par laquelle le comité syndical du SIHAL s’est prononcé sur l’intérêt général du projet.

Par conséquent, les délégués n’ont pas pu apprécier le coût total de l’opération projetée manifestement sous-évaluée puisqu’elle ne prenait pas en compte les dépenses liées à la présence des PCB dans les sédiments de la rivière. De ce fait, les délibérations du 28 mars 2013 et du 23 avril 2014 sont entachées d’irrégularité.

5. Selon la théorie jurisprudentielle du « bilan coûts/avantages », une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs par rapport à l’intérêt qu’elle présente. (CE Ass., 28 mai 1971, « Ville Nouvelle Est », p. 409).

Tout d’abord, compte tenu des coûts liés à l’élimination des PCB et des risques de contamination de la parcelle du Pivot qu’on ne peut pas écarter, le SIHAL n’est pas en mesure de démontrer que son opération n’entraînera pas des inconvénients excessifs par rapport à l’utilité qu’elle présente.

Ensuite, la commission d’enquête déclare explicitement que l’efficacité des dépenses engagées n’est pas démontrée.  Elle recommande que le dossier soit complété d’une synthèse économique et qualitative (bilan coûts / avantages) (2). Le syndicat l’a bien compris puisqu’il s’est engagé à suivre les recommandations de la commission d’enquête.

Page 60 du rapport de la commission d’enquête, on peut lire : « la commission considère que  le SIHAL a orienté son projet sur la réalisation impérative des ouvrages du Pivot ; les propositions alternatives ont été listées, mais le dossier ne démontre pas qu’elles ont été étudiées à fond et la comparaison avantages/ inconvénients analysée avec rigueur. »

A partir du moment où le SIHAL a écarté « sans plus de justification » les propositions alternatives au barrage du Pivot, la nécessité de recourir à l’expropriation n’est pas démontrée.

6. Le dossier soumis à l’enquête ne permet pas d’apprécier fidèlement le coût total de l’opération projetée :

  • le dossier ne donne pas d’information économique concernant les modalités d’entretien des ouvrages comme requis par l’article R214-99 du code de l’environnement,
  • les coûts des études et de la maîtrise d’œuvre pour le suivi des travaux n’apparaissent pas,
  • les dépenses liées à l’élimination des PCB et à la surveillance des ouvrages n’ont pas été chiffrées,
  • les coûts supplémentaires liés à la restauration et à l’entretien de la zone humide compensatoire figurent bien dans le dossier d’enquête (total estimé à 45 000€). Mais l’étude a été réalisée en octobre 2013, soit 6 mois après la délibération du comité syndical.

En résumé, le public et les délégués siégeant au SIHAL n’ont pas été en mesure de reconstituer le coût total de l’opération et d’apprécier l’ensemble du bilan économique. Dès lors, l’arrêté déclaratif d’utilité publique est intervenu à la suite d’une procédure irrégulière (C.A.A Marseille, 9 novembre 2009, Commune de Potelières, n°07MA02178).

7. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet d’Evry pour déterminer l’origine de la pollution aux PCB de la rivière Prédecelle. A ce jour, l’enquête n’a toujours pas révélé s’il s’agit d’une pollution accidentelle due à un vol de transformateur électrique ou d’un problème beaucoup plus grave : défaut de surveillance des installations par le passé ou négligences lors du démantèlement de la zone industrielle (3). Aucun contrôle de la qualité des eaux souterraines au droit du site n’a été effectué. Tant que la source de la pollution n’est pas clairement identifiée, on ne peut pas écarter l’hypothèse que des substances dangereuses non-confinées continuent à se déverser dans la rivière.

Dès lors, aucune intervention dans le lit de la rivière ne devrait être autorisée tant que les résultats de l’enquête sur les causes de la pollution aux PCB ne sont pas connus.

8. Le dossier de DUP indique que : « le Comité Syndical proposera à l’exploitant une indemnité d’éviction basée sur les tarifs d’indemnisation proposés par la chambre d’agriculture d’Ile-de-France pour ce type d’exploitation. Le prix pourra faire l’objet de négociation. Par ailleurs, un bail rural sera signé avec l’exploitant sur la partie de la parcelle expropriée qui n’est pas impactée par les digues et les ouvrages d’entrée et de surverse. Ce bail, outre l’exploitation fourragère, permettra aux bovins d’accéder au canal intermédiaire pour leur permettre de s’abreuver. »

Ces propositions sont irréalistes.

Tant que l’origine de la pollution n’est pas clairement identifiée et confinée, les risques de contamination de la parcelle ne peuvent pas être écartés.

Quel agriculteur prendrait le risque de faire paître un troupeau sur ces prairies dans de telles circonstances ?

Telles sont les raisons pour lesquelles les associations environnementales demandent au préfet de l’Essonne de bien vouloir annuler l’arrêté du 7 juillet 2014 déclarant d’utilité publique le projet de réalisation de l’ouvrage AM1L3 dit « barrage du Pivot ».

NOTES

1. M. Bernard VERA  a été le président fondateur de l’association des riverains du Bassin de la Prédecelle jusqu’à sa nomination à la présidence du SIHAL. M. CARLOTTI est toujours membre du bureau de cette association. Ils occupent tous les deux des maisons situées dans la zone inondable.
2. Cf les conclusions du rapport d’enquête DIG, recommandation n°1.
3. Une base de données du BRGM détaille les activités des anciennes usines installées près de la rivière et fait état de nombreuses substances dangereuses présentes sur le site jusqu’à la cession des terrains à la commune de Limours.

Téléchargement de la lettre recommandée avec accusé réception adressée au préfet (pdf) : Recours amiable DUP Pivot ENE VAF FAVO 2014